[ENQUÊTE] A l’OM, la billetterie, c’est fifty-fifty

L’association des supporters de Marseille gère elle-même les abonnements virage depuis 1987. Des billets vendus à prix cassés (-50% !), qui pénalisent le club en termes financiers, mais aussi les supporters. Retour sur une gestion ancrée dans les mœurs qui freine le développement du club.

A Marseille, rien ne se passe comme ailleurs, surtout en football. Le club doit composer avec ses proches partenaires, notamment de l’association des supporters, laquelle tire le prix des abonnements vers le bas, chaque année.

L’impact des abonnements virage à prix cassés

Commençons avec les chiffres de cette saison 2014-2015 : 31000 abonnements ont été vendus par l’association des supporters de l’OM, uniquement les places dans les virages Sud et Nord, et non pas dans l’ensemble du stade qui compte 67394 places au total. Le reste des tribunes (Jean Bouin, Gustave Ganay) relève toujours du club. Heureusement d’ailleurs, car sinon les pertes seraient telles qu’il s’écroulerait aussitôt. Pourquoi ? Car l’association vend un abonnement, pour les 19 matchs à domicile de la saison, à des prix allant de 150€ (commando ultra virage sud) à 190€ (les Winners). Disons donc 170€ en moyenne, approximativement, afin d’avoir un ordre d’idée et un chiffre cohérent défini. Alors que le club, lui, le vend 345€ ! Un rabais de 50% donc, c’est énorme.

En 2006, L’Equipe avait déjà estimé à 3 millions d’euros la perte d’argent occasionnée par ce mode de gestion unique en France. Aujourd’hui, selon nos calculs, la perte s’élève à : 175 x 31000 = 5,4 millions d’euros. Le problème est encore plus important lorsque l’on apprend que ces virages rassemblant les « ultras », les supporters les plus engagés, représentent 31000 des 42000 abonnements accordés en totalité. Leur poids est donc incroyable, que ce soit en termes financiers, pratiques, sportifs. Un véritable rapport de force s’installe d’office.

Pourquoi le club ne fait-il rien ?

On se demande alors pourquoi le club accepte cette situation quasi ubuesque où il ne maîtrise pas ses abonnements, ni donc la manne financière qui en découle. Certes, ce mode de fonctionnement est maintenant entré dans les mœurs, depuis 1987 et la présidence Tapie. Mais le bon sens ne devrait-il pas l’emporter ? Mais ce rapport de force n’en est pas un, dans les faits il s’apparente plutôt à une subordination du club aux supporters.

Les supporters de l'OM prennent à coeur leur rôle.

Les supporters de l’OM prennent à coeur leur rôle (crédit photo : Foot01.com)

Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? Se fâcher avec la majorité de ses supporters, ou tout au moins ses représentants qui font office d’intermédiaire, est impensable. La survie du club en dépend. Pour l’ambiance, la vente de maillots, la buvette, la billetterie (même partagée et quasi-abandonnée). Ainsi, nous sommes sûrement plus proche d’une confrontation, avec pour logique la loi du plus fort, qu’un dialogue constructif.

L’histoire et le rôle de l’association des supporters de Marseille

Cette association des supporters créée sous la présidence Leclerc pendant les années 1970 a redonné vie à l’importance des fans, toujours vitaux dans la vie du club. A sa survie même. Ainsi, dès les années 1920, ils financent les travaux d’aménagement du stade de l’Huveaune. Aujourd’hui, son poids, et ses moyens, elle la doit à son collectif. En effet, collégiale, elle rassemble pas moins de neuf groupes de supporters : les Commando Ultra 84, les Yankee Nord, les South Winners 87, les Fanatics, les Dodgers, les Marseille Trop Puissant, le Club des Amis de l’OM, le club central des supporters et Handi Fan Club.

Le tournant se produit en 1987 lorsque Bernard Tapie, alors président du club, cède la gestion des abonnements virage à l’association. Le rôle prépondérant de l’association, avant tout sportif, prend alors des airs officiels et politiques. Plus rien ne se fera sans son avis, sans celui de ses chefs. Les leaders historiques des groupes de supporters n’occupent plus seulement l’espace de l’enceinte sportive ou même médiatique. Ils sont maintenant assis à la table des dirigeants, d’égal à égal, à tout le moins. Un rapport de force contesté maladroitement par Michel Tonini, président du groupe de supporters des Yankee Nord : « il n’y a pas de deal. […] Quand le club était à la dérive c’est nous qui remplissions le stade ». Où comment affirmer qu’il n’y en effet aucun dialogue, mais davantage une relation conflictuelle basée sur la raison du plus fort.

L’association, un partenaire nécessaire

A les croire, les supporters sont d’une grande aide au club. Plus qu’un soutien, un partenaire. Irremplaçable, de plus. Les représentants de ladite association arguent d’une part que le club, en quelque sorte, leur sous-traite diverses tâches qu’il ne peut ni ne veut assurer ; et d’autre part qu’ils travaillent pour la cause des supporters.

Premier versant : l’administratif. Son rôle de sous-traitant arrangerait le club, lequel aurait alors moins de choses à gérer. Michel Tonini l’affirme : « Ce système arrange le club, il économise le travail pour gérer tout ça ». Mais également les supporters : « Pendant la période Bernard Tapie, nous avons créé les abonnements pour des raisons pratiques afin d’éviter d’avoir un ticket différent à chaque match ».

Bernard Tapie, emblématique et controversé président de l'OM (avril 1986-Décembre 1994).

Bernard Tapie, emblématique et controversé président de l’OM (avril 1986-Décembre 1994). (Crédit photo : Maxppp)

Un avis que Pascal R., habitant et fervent supporter de l’OM, tempère. Il commence par avouer que le club peut y gagner en termes pratiques et financiers, tout en reconnaissant qu’il n’a plus le choix aujourd’hui. La boîte de Pandore est ouverte. « Pour le club l’avantage doit être qu’il ne paie pas de TVA. Au-delà de ça, gérer la billetterie requiert un savoir-faire. Le club a préféré externaliser ce service il y a quelques années et ne peut plus faire machine arrière ».

Pour les supporters, la satisfaction n’est que partielle

Il remet également en cause le versant pratique, supposé bénéficier aux supporters. Son expérience est intéressante : « Je ne pense que cela soit mieux pour les supporters. De part mon expérience, avoir un abonnement au virage demande d’avoir des connaissances. Et si cela était mieux pour les supporter, le système ce serait démocratisé en France ».

Lorsque nous l’interrogeons sur la rapidité et la qualité du service proposé par ces associations, sa réponse est une fois de plus plutôt négative. Celle d’un supporter déçu et résigné : « Longue file d’attente. Pour les abonnements du virage, les abonnés sont prioritaires d’une année sur l’autre. Sinon on est inscrit sur une longue file d’attente. En gros quand tu obtiens ton abonnement, il faut le garder même si tu ne vas plus au stade. Pour exemple j’ai été abonné 3 ans, pour cela j’avais récupéré l’abonnement de mon oncle. La dernière année je l’avais repris juste pour quelques matches et pouvoir ensuite en faire profiter quelqu’un d’autre. »

Un marché noir au vu et au su de tous

Logiquement, nous en venons à l’interroger sur l’existence de passe-droits, une plus grande facilité lorsque l’on est un proche d’un membre influent d’une association. Sa réponse est laconique : « Oui ».

Il continue et nous raconte le fonctionnement désormais connu et accepté de tous : « Ce sont des pratiques courantes, une personne peut acheter plusieurs abonnements et les revendre le jour du match, fois deux ou quatre selon le match. Les reventes sont gérées par des groupes avec plusieurs équipes en place qui proposent des billets aux passants. Je pense que cela doit être partout pareil autour des stades. »

L'entrée du stade Vélodrome à Marseille, où le marché noir bat son plein avant chaque match. (Crédit photo : A.B.)

L’entrée du stade Vélodrome à Marseille, où le marché noir bat son plein avant chaque match. (Crédit photo : A.B.)

Pascal R. s’étonne tout de même d’un marché noir encore plus original qu’ailleurs. Il le reconnaît avec sourire : « Ce qui est surprenant chez nous, ce sont que ces personnes ont des cartes abonnements et non de simples places « billet ». Une fois la place au black achetée les vendeurs t’accompagnent jusqu’à l’entrée avec une personne devant et une derrière pour pouvoir récupérer la carte ensuite ».

Ainsi, le fonctionnement n’est pas plus simple en termes pratiques. Cela saute aux yeux. Mais malgré toutes ses barrières, les supporters acceptent ce système car il leur permet d’économiser. Le prix du billet en virage reste toujours plus intéressant que dans une autre tribune. A fortiori guère surprenant, les tribunes populaires sont toujours moins chères. Et le marché noir n’y change rien. Donc pourquoi le dénoncer ? Tout le monde y gagne. L’expérience de Pascal R. : « 15-20€ les matches simples, 30-40€ les matches importants, 50-70 les matches de prestiges contre Paris, Lyon, Saint-Etienne… »

L ‘association : omniprésente et gênante ?

Le troisième versant pose aussi problème : la prestation de services. Nous parlons ici du nerf de la guerre : l’argent. Et là, le club y perd. Beaucoup. D’abord parce que l’association vend ses abonnements virage à prix cassés défiant toute concurrence (-50%). Et ce, sur quasiment la moitié des places du stade. Un manque à gagner qui se chiffre à six millions d’euros par an pour le club. Ensuite en disposant de sa propre buvette, cannibalisant les ventes du club pour son propre intérêt. Une fois de plus.

Ainsi, la communauté du club n’est pas avantagée ni gagnante dans son ensemble. L’association n’œuvre plus pour le bien commun, mais uniquement pour le sien. Un fonctionnement aberrant, plusieurs responsables au sein d’un même stade ! Supposés s’entendre et travailler de concert, pas faire la course au plus offrant…

Dernière prestation de service ne respectant pas la politique du club : les systèmes de prêts ou de matchs à la carte. Certes, les supporters peuvent y trouver leur compte, le club, moins sûr. Ne serait-ce que le principe est contraire aux us et coutumes d’un club.

Le club évite de s’exprimer sur le sujet

Qu’en pense le club ? Nos appels et emails sont jusqu’ici restés sans réponse. Peut-être un simple temps de latence, faisons preuve de patience. Quoi qu’il en soit, nos chances restent maigres. Les dirigeants refusent de communiquer sur le sujet depuis bien longtemps. Qu’il s’agisse de l’actionnaire principale, Margarita Louis-Dreyfus, ou de Vincent Labrune, actuel président de l’OM depuis le 9 juin 2011.

Simple aveu d’impuissance gêné ou choix mûrement réfléchi ? Nul doute que l’association des supporters ne souhaite pas voir les dirigeants s’épancher dans les médias sur leur relation compliquée. Et compte tenu du bon début de saison actuel, leader après seize journées en Ligue 1, personne ne veut gâcher la fête.

Une chose est sûre : le rôle prépondérant de l’association n’a jamais vraiment été voulu par le club. Il s’agit plutôt d’un état de fait, subit, comme nous l’explique encore Michel Tonini : « Bernard Tapie a tout fait pour nous empêcher d’avoir le pouvoir que l’on a aujourd’hui ».

Peut-être la meilleure intuition de l’ancien président. Et sûrement son plus grand échec.

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